Municipal
Expropriation déguisée, abus de pouvoir et délai raisonnable
Le demandeur qui entreprend un recours en nullité à l’encontre d’un règlement municipal doit le faire à l’intérieur d’un délai raisonnable. Toutefois, lorsque le motif invoqué au soutien de la demande de nullité est l’abus de pouvoir exercé par la municipalité, la demande doit-elle aussi être introduite dans un délai raisonnable?
La Cour suprême du Canada s’est prononcée sur cette question dans l’affaire Ville de Lorraine c. 2646-8926 Québec inc.1 (ci-après appelée la « Société »), le 6 juillet dernier. En 1989, la Société a acquis un terrain sur le territoire de la Ville de Lorraine dans le but éventuel, d’y réaliser un projet de développement domiciliaire.
En 1991, la Ville a modifié son règlement de zonage et cette modification a eu pour effet qu’une grande partie du terrain de la Société se trouvait dorénavant dans une zone de conservation, empêchant ainsi la réalisation du projet de développement domiciliaire.
La Société a appris l’existence du règlement en 2001 et en 2004, la Ville l’a informé qu’elle n’avait pas l’intention de modifier le règlement de zonage afin de permettre la réalisation du projet de développement domiciliaire.
En 2007, la Société a intenté une action en nullité du règlement au motif que la Ville avait abusé de ses pouvoirs en adoptant le règlement qui avait pour conséquence de l’exproprier illégalement, sans aucune indemnité.
Devant la Cour supérieure, la Ville a eu gain de cause et le juge a rejeté la demande en nullité au motif qu’elle n’avait pas été intentée dans un délai raisonnable. La Cour d’appel a toutefois renversé ce jugement au motif que l’adoption du règlement constituait un abus de pouvoir rendant le règlement inopposable au propriétaire.
La Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi déposé par la Ville de Lorraine et a annulé les ordonnances d’inopposabilité rendues par la Cour d’appel. La Cour suprême a statué qu’une demande en nullité d’un règlement municipal pour cause d’abus de pouvoir doit être présentée dans un délai raisonnable. Le motif d’abus de droit, au soutien de la demande en nullité, ne peut justifier l’omission d’entreprendre le recours dans un délai raisonnable. Ainsi, le juge de la Cour supérieure avait exercé judicieusement son pouvoir de contrôle et de surveillance à l’égard du règlement.
La Cour suprême précise toutefois que cette discrétion du juge de la Cour supérieure « ne peut être exercée que dans les cas où le demandeur cherche à faire déclarer la nullité d’un règlement qu’il estime abusif, et non dans ceux où la nullité est demandée pour cause d’absence de compétence ou d’excès de compétence. »2
Par ailleurs, la Cour suprême a ajouté que le recours intenté par la Société était prescrit au moment où il a été déposé puisqu’il était soumis à la prescription décennale de droit commun prévu à l’article 2922 C.c.Q. La Cour a également statué que même si le recours en nullité était rejeté, la Société pouvait réclamer une indemnité pour cause d’expropriation déguisée, de sorte que le dossier poursuivra son cours devant la Cour supérieure sur les demandes demeurées en suspens.
Par cet arrêt, la Cour suprême a donc précisé que le principe quant à l’introduction d’un recours en nullité d’un règlement municipal à l’intérieur d’un délai raisonnable trouvait application et ce, même lorsqu’il y a allégation à l’effet que la Municipalité a agi de façon abusive.
1 2018 CSC 35
2 Supra note 1, par. 25