Travail et emploi
Un employeur a-t-il l’obligation de tenter de réaffecter un employé incompétent avant de le congédier?
Pour bien saisir l’importance de cette décision, il importe de relater l’évolution du droit applicable en matière de congédiement pour incompétence. Pour ce faire, il faut remonter en 1982, année où trois arbitres de grief en Colombie-Britannique élaborent les étapes à suivre avant qu’un employeur puisse congédier un employé pour incompétence2. Or, l’étape ultime de ce test, connu sous le vocable « test Edith Cavell », est à l’effet que l’employeur doit démontrer que « that reasonable efforts were made to find alternate employment within the competence of the employee. » (ci-après le « Critère »).
Graduellement, cette analyse fait sa place dans les décisions de divers tribunaux administratifs et judiciaires au Canada. En 2004, la Cour suprême du Canada est appelée, dans l’arrêt Lethbridge Community College3, à se prononcer sur le test que la Cour d’appel de l’Alberta a fait sien.
En 2005, dans l’affaire Costco4, le juge Jacques Delisle, au nom de la majorité de la Cour d’appel, approuve l’approche du commissaire du travail Mario Chaumont en précisant que la décision de ce dernier tire son origine de la décision de Cavell, précitée, mais ne discute pas spécifiquement du Critère.
Le juge Gagnon dans la décision Ménard conclut que la décision du juge Delisle, « omet un passage crucial du test Edith Cavell. »
Or, même si en 2004 la Cour suprême du Canada n’avait pas à se prononcer sur l’ensemble des critères du test, dont celui de l’obligation de tenter la réaffectation de l’employé incompétent, le juge Gagnon n’en est pas moins d’avis que cet arrêt a eu pour effet de confirmer cette obligation pour l’employeur. À son avis, rien dans l’arrêt Costco ne permet de conclure qu’une version pour ainsi dire « allégée » ou différente du test devrait s’appliquer au Québec comparativement au reste du Canada. Comme le rappelle le juge Gagnon, le législateur québécois n’a rien adopté en ce sens et les conclusions de la Cour suprême du Canada devraient donc être celles qui gouvernent les tribunaux dans l’analyse des causes de congédiement pour incompétence.
De l’avis du juge Gagnon, c’est à tort que le droit québécois n’a pas intégré le Critère. Le juge Gagnon vient bousculer la façon dont une grande majorité d’employeurs se comporte en matière de congédiement des employés incompétents.
Si un appel n’est pas entendu ou si un arrêt de la Cour d’appel devait confirmer les conclusions du juge Gagnon, les employeurs auront désormais le fardeau de prouver qu’ils ont raisonnablement tenté de trouver un autre poste à l’employé incompétent ou encore comment une telle obligation ne s’applique pas dans une situation donnée.
D’ici là, les employeurs devront être particulièrement vigilants et prudents dans l’application de leur droit de gérance dans un contexte de congédiement pour incompétence.
1 Commission Scolaire Kativik c. Ménard, Q.C.C.S. 4686 (CanLII).
2 Edith Cavell Private Hospital c Hospital Employees’ Union, Local 180, [1982] 6 L.A.C. (3d) 229.
3 A.U.P.E. c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28 (CanLII).
4 Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788 (CanLII).