Litige
Forcer la vente d’une entreprise par une ordonnance de sauvegarde, est-ce possible?
Le 6 avril 2017, à la demande d’un coactionnaire, l’Honorable Daniel Dumais j.c.s. prononçait une ordonnance de sauvegarde obligeant deux actionnaires à accepter et à signer une offre d’achat des actifs de leur pharmacie dans le cadre d’un recours en oppression1.
Les faits
Le demandeur et les deux défendeurs sont pharmaciens et exploitent deux pharmacies sous la bannière Familiprix, l’une située à St-Rédempteur, l’autre à La Malbaie. La pharmacie de St Rédempteur est insolvable et risque la faillite. Le 8 décembre 2016, une pharmacienne dépose une offre d’achat pour la quasi-totalité des actifs de la pharmacie de St-Rédempteur pour une contrepartie de 1 718 000 $. Depuis 2014, plus d’une vingtaine de démarches pour vendre l’entreprise se sont avérées infructueuses et la seule offre reçue était moins avantageuse que celle en l’espèce. Bien que les parties soient endettées envers la Banque Nationale du Canada et auprès de leur bannière pour une somme supérieure à l’offre d’achat, les deux créanciers ont accepté la transaction. Il faut noter que le demandeur s’est déclaré prêt à rembourser l’écart dû sous réserve d’en exiger le paiement de la part des autres associés.
Les négociations vont bon train jusqu’au jour où les défendeurs font volte-face et décident que la transaction n’est pas acceptable. Ils invoquent notamment le fait que le prix de vente ne couvre pas entièrement les montants dus aux créanciers garantis.
La décision
En principe, une ordonnance de sauvegarde doit être conservatoire et limitée dans le temps2. La décision Rioux mérite alors d’être soulignée, car en obligeant les parties à conclure cette transaction, le jugement final a été en partie décidé. Le tribunal fait valoir que les circonstances3 propres aux parties justifient cette ordonnance discrétionnaire4, lourde de conséquences5. Il ne va pas sans rappeler que le tribunal dispose d’une grande marge de manœuvre en termes d’intervention et de redressement en matière de recours en oppression6.
Les critères habituels applicables pour l’analyse d’une ordonnance de sauvegarde sont évalués.
D’abord, le tribunal affirme que le demandeur peut agir en sa qualité d’actionnaire7. Considérant les longues négociations dans l’optique de conclure une entente finale, le tribunal soutient ensuite que le demandeur était en droit de s’attendre à ce que la transaction soit conclue. Toutefois, la cour mentionne qu’en refusant de transiger, les défendeurs ne font pas preuve d’un d’abus de pouvoir. La cour mentionne plutôt qu’il serait injuste pour tout le monde, incluant les défendeurs et les créanciers, de ne pas donner suite à l’offre de vente. En effet, cette transaction est la seule solution concrète et raisonnable pour délivrer les parties de l’impasse. L’apparence de droit est donc confirmée.
La Cour mentionne d’ailleurs que de ne pas procéder à la transaction provoquerait un préjudice irréparable. Si la Cour n’octroie pas cette ordonnance de sauvegarde, l’offre d’achat pourra être retirée ou modifiée et les parties perdront alors leur seule opportunité concrète de s’en sortir.
En ce qui concerne le critère de l’urgence, l’offre d’achat expirait au lendemain de l’audition. Depuis 3 ans maintenant que les parties tentent de régler leur situation financière. Même si les parties trouvent une meilleure offre, l’attente occasionnera nécessairement des dommages et des pertes additionnelles.
Conclusion
La Cour accueille alors l’émission d’une ordonnance de sauvegarde forçant la vente des actifs d’une pharmacie selon les termes d’une offre d’achat. Les circonstances de l'affaire Rioux sont bien particulières. Reste à savoir si ce premier précédent jurisprudentiel ouvrira la porte aux actionnaires qui se sentent lésés par le refus catégorique de leurs associés de faire valoir leurs droits.
1 Rioux c. Pharmacie Frédéric Martin, Marie-Chantale Côté et Denis Rioux Inc., 2017 QCCS 1307.
2 2957-2518 Québec Inc. c. Dunkin'Donuts (Canada) Ltd., 2002 AZ-50132010 (QC CA), par. 23.
3 Sawyer c. S. Teller ltée, 2011 QCCA 2389. Le juge s’appuie sur le fait que le principe élaboré par la Cour d’appel n’est pas immuable.
4 Gagnon c. Guay, 2015 QCCA 841, par. 17.
5 Rioux, préc., note 1, par. 37.
6 Loi sur les sociétés par actions, RLRQ c. S-31.1, art. 450, 451; Rioux, préc., note 1, par. 39.
7 Loi sur les sociétés par actions, préc., note 6, art. 439; Rioux, préc., note 1, par. 45.